Comment
je suis DEvenu
un chercheur atypique ?

Comment expliquerais-tu à un enfant ce que tu fais dans la vie ?

J'essaie de comprendre ce qui va, et ce qui ne va pas chez un humain ou dans un groupe d'humains. J'essaie de comprendre cela pour le réparer.Je ne sais pas faire autre chose. Comme je suis autiste, c'est ce qu'on appelle un intérêt restreint. Chez certains autistes c'est les mathématiques, les trains ou les dinosaures. Pour moi c'est comprendre et réparer les comportements humains.

Comment as-tu découvert cette particularité ?

J'ai eu le verdict très tard, lorsque mon fils aîné a été diagnostiqué autiste. Moi, j'ai toujours été considéré comme "à part", voire “bizarre” mais sans qualification médicale. Ce diagnostic a été important parce qu'il m'a permis de fermer une interrogation essentielle : pourquoi suis-je atypique ? Est-ce un atout ou un problème? Est-ce que ça pourra changer ? Savoir que mon cerveau était câblé différemment et que je percevais donc différemment les stimuli, m'a libéré. J'ai compris qu'en fait il y avait un dénominateur commun entre la constellation de symptômes que j'avais depuis toujours. Et que et que cela ne changerait pas. J'ai pu libérer cette énergie captée par un doute existentiel pour organiser mon environnement d'une manière qui tient compte de ma spécificité, plutôt que m'épuiser à m'adapter.

Est-ce que j’ai raison de penser que tu as eu une enfance particulière à cause de ça ?

Quand j'étais enfant, j'avais le sentiment, et on me le faisait bien sentir, que je ne comprenais pas les situations sociales. Je ne savais pas interagir avec les enfants de mon âge, et je m'incrustais inlassablement dans les discussions d'adultes, sur la politique, la science, l'histoire, la religion, le cinéma. Je m'intéressais à certains sujets de manière obsessionnelle. Et, surtout, je ne savais pas mentir. J'étais la spontanéité incarnée, donc je créais souvent des situations gênantes. En gros, jusqu'à 7 ans, j'étais un ovni.

Mais alors, comment as-tu fais pour ne pas te replier sur toi-même ?

Assez vite, on m'a fait comprendre que je devais apprendre à me taire, “mettre un policier dans la tête”, disait mon père, et lui faire valider ce que j'avais à dire ou à faire.Le syndrome de l’autisme Asperger fait partie des Troubles du Spectre Autistique (TSA) aux côtés des autres troubles envahissants du développement. Il est considéré comme un handicap qui se traduit notamment par une "cécité relationnelle", mais n’altère pas les aptitudes physiques : il n’est donc pas une maladie. Ce syndrome d'Asperger apparaît dans la littérature médicale américaine dans les années 80. Il faut attendre quelques décennies avant qu'il soit recherché en France. Né en 1983 à Paris, je n'avais aucune chance d'être diagnostiqué.

Par défense, j'ai commencé une carrière de pitre, performant à la maison et à l'école des sketches, reproduisant souvent des scènes de films dont je connaissais les dialogues par cœur. Puis, piqué par le virus de la comédie, je me suis sérieusement mis au théâtre. Je n'avais pas de timidité à me montrer en public puisque je n’étais pas touché par les expressions ou les émotions du public. La scène était un endroit protecteur : le texte est écrit, on est quelqu'un d'autre, les grandes personnes ne peuvent pas venir te chercher ou t'interrompre, le policier dans ma tête n'a plus lieu d'être, et ce n'est pas fatigant puisque je suis hypermnésique et que je peux retenir beaucoup de texte sans effort.

En fait, c’est par le théâtre que tu t’adaptes au monde, c’est bien cela ?

Oui, petit à petit, le théâtre devient une source d'adaptation et je commence à utiliser mon intelligence pour comprendre les situations sociales. Et paraître le moins “bizarre” possible. Je travaillais par essai-erreur en puisant au départ des références dans les scènes de films que je connaissais. Je me remettais en question, je n'étais jamais énervé et je restais très calme. En fait, pour me faire des amis, j'étais devenu une machine, un algorithme !En parallèle de cet effort d'adaptation, j'ai développé tout un tas de somatisations, des problèmes de sommeil, digestifs, de fatigue cognitive. Tous ces problèmes étaient dus à une compensation excessive de mon fonctionnement atypique.

Est-ce que tu te rappelles à quel moment se développe ton intérêt pour la psychologie ?

A partir du collège, j’ai commencé à me centrer sur les sciences sociales et la compréhension des phénomènes humains. J'étais membre de divers groupes et associations, et je faisais beaucoup de colonies de vacances. J'analysais alors la formation des groupes, leur dissolution, les rotations de leadership. J'essayais de percer le secret du comportement humain, de lui trouver une logique, de le théoriser. Je me suis alors plongé dans les œuvres de bon nombre de
philosophes et de psychologues qui parlent du comportement humain.

Et à quel moment est-ce que tu rencontres l’analyse transactionnelle ?

Puisque je ne comprenais rien à la communication,  mais que je voulais absolument me sentir intégré, je me disais que je devais trouver un moyen de pallier la cécité relationnelle liée à mon syndrome autistique. Je me disais que les gens savaient des choses que je ne savais pas, un secret que je devais percer. C'est comme ça que j'ai commencé à m'intéresser à la psychologie, notamment à l'analyse transactionnelle. Et puis je me suis aperçu qu'en fait il n'y a pas de secret ni de modèle en psychologie et comportements humains, c'était intuitif. En fait, il n'existe pas de théorie élémentaire et consensuelle du comportement humain comme il existe en physique, en chimie, en cosmologie ou en biologie par exemple. Personne ne sait expliquer pourquoi les humains font ce qu'ils font.

En 2011, je commence à créer des protocoles visant à comprendre et réparer le comportement des humains. Je continue de me former, de lire et relire : Spinoza, Darwin, Schopenhauer, Victor Frankl, Fanita English entre autres. L’approche d’Eric Berne fondateur de l’analyse transactionnelle me passionne. Et je mets en pratique mon savoir non plus seulement en tant que comédien, mais aussi en tant que coach, entrepreneur et chercheur.

Aujourd'hui, quelle est ta vision en tant que chercheur ?

Dernièrement, j'ai assisté à un congrès international d'analyse transactionnelle et il y avait les sommités de la discipline. Une partie des conférences portaient sur la "physis" qui désigne les aspirations vitales d'une personne, autrement dit, ce pourquoi on se lève le matin et sans quoi tout le reste perd sens. Quelle est cette énergie ? J'espérais des réponses mais j'ai réalisé que ces grands esprits réunis n'avaient pas d'explication synthétique et susceptible de mettre tout le monde d'accord. 

Voilà, au final, aux alentours de 40 ans, j’en suis arrivé à me dire que j'avais lu assez de sources théoriques et vu assez de cas concrets et cliniques pour savoir qu’il n’y avait pas un modèle standard et consensuel pour analyser le comportement humain. 

Je décide de me saisir de la question et d’agir pour y répondre. C’est ainsi que naît le Darwin Institute.

Qu’est-ce qui te conduit à penser que tu es la bonne personne pour relever un tel défi ?

A priori on peut penser que ce n'est pas une personne autiste qui va régler le problème du comportement et de la communication. Oui mais en fait je me suis aperçu qu'en adoptant une vision algorithmique et avec ma vision fragmentée des choses - les perceptions fragmentées, c'est une des particularités de l'autisme, on perçoit les signaux en pièces détachées et ensuite on les rassemble - et bien j'ai réalisé que c'était une force. La plupart des gens doivent faire un effort cognitif pour passer d'un point de vue général à une approche en pièces détachées. Chez moi c'est l'inverse, j'ai l'approche en pièces détachées je dois faire un effort pour recomposer la vision d'ensemble. Devant un certain niveau de complexité, quand les gens ont besoin de découper, de voir le détail et la dynamique des choses, c'est un effort pour eux et ça ne l'est pas pour moi. Donc finalement face à la complexité du sujet du comportement humains mon fonctionnement est un atout qui me permet d'aller beaucoup plus vite, plus loin.

La frontière entre la folie et le génie est assez mince, on le sait. Newton. comptait des cailloux par terre dans la cour de l'Université de Cambridge. Pour moi c'est l'utilité in fine qui permet d'échapper à la folie, et j’y travaille en créant des protocoles de coaching personnel, d’évaluation, de développement du leadership et de diagnostic d’organisations. Ces protocoles ont aidé des milliers de personnes qui, en adoptant mes techniques de compréhension des enjeux humains, que ce soit individuel ou en système, ont une amélioration massive et rapide de leur rapport à elles-mêmes et aux autres. Au bout d'un moment, je me suis dit que je pouvais essayer d'impacter plus que les gens qui croisent ma route un par un, et de me positionner un peu plus en avant, sur la recherche fondamentale, avec cette croyance qu'il y a quelque chose qu'on n'a pas compris dans la psyché. Un truc du type E=mc2. Et que tant qu'on n'aura pas compris ce principe fondamental, on raisonnera sur des modèles de la psyché dans lequel on est spectateurs du désastre mais sans pouvoir d'agir. On ne peut pas seulement traiter la souffrance physique des personnes, il faut également traiter la question de la souffrance existentielle. C’est la raison d’être du Darwin Institute.

Aussi, la connaissance du vivant a connu des progrès prodigieux ces dernières décennies. Que ce soit en éthologie, en cosmologie, en physique des particules, en neurosciences. Toutes ces découvertes donnent une vision des systèmes qui remet l'humain à l'intérieur du vivant. Et ça c'est absolument nouveau ! Je crois que le moment est venu de mettre à jour et de consolider notre savoir en psychologie.

On ne peut pas finir sans dire un mot sur le personnage de Darwin

J'ai une affection toute particulière pour Charles Darwin, déjà, parce qu'il était lui-même atypique, il n'avait pas de diplôme. Il était indépendant de toute institution. Il a collecté des spécimens avec une grande humilité pendant des années sans aucune gloire, aucune publication! Surtout, il était capable de regarder la nature sans être biaisé, avec un œil logique. En trouvant des ammonites sur le haut des montagnes, il en déduit que cette ammonite a été sous l'eau à un moment et a dû s'élever ici par la tectonique des plaques. En voyant certaines fleurs sur des îles Galapagos d'une certaine taille, il s'est dit qu'il y a forcément un oiseau qui a un bec adapté. Et cet oiseau a en effet été trouvé plus tard.Enfin, la théorie de de la sélection naturelle et de l'évolution apporte une explication standard et consensuelle de l'origine des espèces vivantes.

C'est c'est une grande source d'inspiration.

Pour finir, qu’est-ce que tu veux accomplir de plus avec le Darwin Institute ?

Cela revient à se demander pourquoi suis-je devenu chercheur ? À la base je voulais comprendre les êtres humains parce qu’étant autiste, je ne les saisissais pas intuitivement. Et à force de les comprendre à un niveau théorique je suis devenu un théoricien tout à fait valable. Un peu comme les accordeurs aveugles, dont on dit qu’ils sont souvent plus précis que les accordeurs dotés de la vue. 

Je pensais découvrir quelque chose que tout le monde savait déjà, et je me suis aperçu, lentement mais sûrement, que personne n'est capable d'expliquer avec précision et prédictibilité pourquoi les êtres humains font ce qu'ils font ce qu'ils font. Et je trouve que ceci est un gros problème parce que ça nous rend impuissant face à la détresse psychologique et à certains malheurs du monde.

Par exemple, dans le cas de la radicalisation, je ne comprends pas qu'on puisse garder une personne en prison 10 ans sans avoir pour objectif final de la réparer.

Grâce aux protocoles que j’ai créés pour des situations moins extrêmes, j'ai vu des changements rapides sur des cas de dépression ou d'addiction par exemple. Et je suis convaincu que si on donne le bon coup de marteau au bon endroit on peut traiter des détresse psychiques plus graves, souvent considérées comme désespérées. C'est le cas en neurosciences avec la neurostimulation profonde. On soigne des gens de Parkinson en envoyant des ondes sur un point précis du cerveau. La psychologie doit se remettre en question, se nourrir des découvertes et évolutions dans tous les domaines de la science depuis 30 ans, pour viser une nouvelle synthèse. Tout ce qu'on a appris nous oblige à revoir la psychologie qui a eu deux âges d'or : un premier en 1900 autour de Vienne et un deuxième 1950 autour de Palo Alto. C'est à ce travail de synthèse que j'aimerais contribuer avec le Darwin Institute.